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Turquie/Syrie : “Appose ton empreinte ici et garde le silence, sinon je te détiens toi et ta famille pendant un mois”

Témoignages récents sur les déportations forcées massives des réfugiés syriens depuis la Turquie, accompagnées d'agressions à grande échelle contre eux et leurs biens pendant et après les " événements de Kayseri "

by communication
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Les événements de la ville turque de “Kayseri” ont  coïncidé avec une vague de déportations et d’agressions racistes à grande échelle contre des réfugiés syriens et leurs biens dans différentes provinces turques, dont Antalya, Adana, Gaziantep, Istanbul, Kilis, Konya et Reyhanli, cela a suscité une réaction du côté syrien dans les régions du nord, où la Turquie exerce un contrôle effectif sur de vastes zones, qui s’est traduite par des manifestations et des protestations larges et sans précédent, dénonçant les agressions racistes contre les réfugiés syriens et les violences qu’ils ont subies en Turquie.

La ville turque de Kayseri avait connu, le 30 juin 2024, des manifestations qui se sont transformées en agressions massives contre les biens des Syriens après la propagation d’une rumeur selon laquelle un réfugié syrien aurait harcelé une fillette turque même si cette rumeur a été démentie le soir même par le gouverneur de Kayseri, qui a publié un communiqué expliquant que ” le réfugié syrien avait agressé une fillette syrienne et non turque “, que l’incident s’était produit dans le quartier de “Danıchmentgazi”, et que l’agresseur avait été arrêté et la fillette placée sous protection, appelant les citoyens au calme.

Cependant, malgré la déclaration du gouverneur appelant au calme, la vague de violence ne s’est  pas arrêtée, mais s’est intensifiée, entraînant l’incendie des maisons des Syriens, la destruction de leurs voitures, et des attaques contre leurs commerces, dont les contenus ont été saccagés par des centaines de citoyens turcs. En réponse, le 2 juillet 2024, le ministre turc de l’Intérieur, Ali Yerlikaya, a annoncé sur son compte sur la plateforme X l’arrestation de 474 personnes en lien avec les émeutes survenues dans la province de Kayseri. Il a précisé que 285 des personnes arrêtées étaient accusées de divers crimes antérieurs, incluant le trafic de migrants, de drogue, le pillage, le vol et la destruction de biens, et qu’elles avaient déjà un casier judiciaire, et il a exhorté les citoyens turcs à ne pas se laisser entraîner par ce qu’il a qualifié de “provocations”, ajoutant que “ceux qui complotent contre notre État et notre nation recevront ce qu’ils méritent “.

En réaction aux événements de Kayseri et à la vague d’agressions racistes à grande échelle contre les réfugiés syriens et leurs biens en Turquie, des tensions extrêmes ont éclaté le 1er juillet 2024 dans les régions du nord et du nord-ouest de la Syrie, après le

déclenchement de manifestations dénonçant les agressions racistes et les violences perpétrées par un groupe de Turcs contre des réfugiés syriens dans la province turque de Kayseri le 30 juin 2024.

Ces manifestations ont rapidement dégénéré en violences, débutant par la destruction de camions turcs dans la campagne de l’est d’Alep, suivie de heurts avec l’armée turque dans la ville d’Afrin, au nord-ouest d’Alep, faisant au moins quatre morts, selon le communiqué publié le 2 juillet 2024 par la police militaire du gouvernement intérimaire syrien, allié de la Turquie, et blessant plus de 20 autres civils.

Cette situation a conduit à une mobilisation de l’armée turque et des services de renseignement turcs, ainsi que des forces de l’ “Armée nationale syrienne/ opposition”, contrôlée par la Turquie, et à la fermeture de tous les points de passage frontaliers avec le nord-ouest de la Syrie par les autorités turques, alors que le passage frontalier de Bab al-Hawa, au nord d’Idlib, a annoncé le 1er juillet 2024 la fermeture du transit des voyageurs, des malades et des camions, selon une publication sur son site officiel ; cela s’est également appliqué aux passages de Al-Hamam, au nord d’Alep, et de Jarablus et Al-Rai, à l’est d’Alep, qui ont tous repris leurs activités le 3 juillet 2024, et cette fermeture a également concerné le passage frontalier de Bab al-Salama, dont les activités ont été partiellement interrompues après les manifestations, pour être totalement fermées le 4 juillet 2024, selon un responsable du poste-frontière nommé Abu Wael[1] (qui a refusé de donner son nom pour des raisons de sécurité), et qui a déclaré :

Le 4 juillet, le poste-frontière a été (complètement) fermé sur décision du côté turc, et cette fermeture a duré six jours (y compris la période de fermeture partielle) avant d’être rouvert au commerce et aux personnes ayant des permis de travail et la nationalité turque”.

Le 5 juillet 2024, le député du Parti Vert au parlement turc, Ömer Gergerlioğlu, a critiqué la politique du gouvernement turc et ses réactions aux événements de Kayseri, et il a déclaré que “70 000 Syriens ont été touchés, et que les racistes ont détruit 21 commerces”, faisant référence à des événements sanglants survenus en Turquie auparavant à diverses périodes, et s’adressant au Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir lors d’une session parlementaire diffusée en direct.

Le 17 juillet 2024, le groupe du Parti du bonheur et de l’avenir a déposé une demande d’enquête parlementaire sur les causes des événements récents contre les réfugiés syriens, afin de prévenir leur répétition et de prendre les mesures necessaries, mais l’AKP et son partenaire de coalition, le Parti du mouvement nationaliste (MHP) extrémiste, ont rejeté la proposition d’enquête.

Par la suite, le 18 juillet 2024, des organisations de la société civile syrienne ont publié une déclaration exprimant leurs graves préoccupations face à la montée rapide des sentiments anti-réfugiés syriens en Turquie et aux violences qui en découlent, et elles ont demandé à l’Union européenne de suspendre le financement qu’elle fournit à la Turquie pour les réfugiés syriens et d’agir rapidement pour protéger leurs droits.

En plus de la chronologie des événements survenus en Turquie et dans le nord de la Syrie mentionnée ci-dessus, ce rapport révèle des détails sur les déportations forcées de réfugiés syriens, mettant en lumière comment certains d’entre eux ont été contraints de signer des documents de “retour volontaire”, ainsi que les violations des droits de l’homme qu’ils ont subies dans les centres de déportation, y compris la violence et la négligence, dans un contexte de détérioration de la situation humanitaire et juridique des Syriens en Turquie, en raison des nombreuses restrictions imposées à leur liberté de mouvement.

Ce rapport s’appuie sur six témoignages directs et détaillés, recueillis par les chercheurs de “Syrians for Truth and Justice” via Internet en utilisant une application de communication sécurisée, cinq témoignages parmi eux, proviennent de réfugiés syriens qui ont été déportés par les autorités turques vers le nord de la Syrie avant et après les événements de Kayseri.

Les sources ont été informées de la nature volontaire de l’entretien et des usages possibles des informations partagées, y compris la publication de ce rapport, lors de l’obtention de leur consentement éclair et toutes les sources ont choisi de dissimuler leur identité ou toute information pouvant les identifier, par crainte de représailles de la part des factions militaires contrôlant la région, d’autant plus que de précédentes arrestations ont été documentées contre des déportés dès leur arrivée sur le territoire syrien.

Outre les témoignages, le rapport s’appuie sur un ensemble de sources ouvertes, y compris des publications vérifiées sur les réseaux sociaux, des chiffres sur les déportations publiés sur des sites officiels, et des rapports traitant de la vague de violence à Kayseri, les manifestations qui ont suivi, ainsi que des déportations qui y sont liées, dont certaines informations ont été incluses après vérification de leur exactitude.

  • Escalade des violations contre les réfugiés syriens en Turquie :

Avant les événements de la province de Kayseri, une vague massive de déportations a eu lieu dans la ville turque de Gaziantep, qui est la deuxième plus grande ville en termes de nombre de Syriens sous le régime de ‘protection temporaire’ après Istanbul, accueillant plus de 429 000 Syriens, selon la direction turque de l’immigration,et ces

dernières années, les déportations forcées des réfugiés syriens en Turquie, qui ont fui la guerre et les conditions de vie difficiles en Syrie, se sont intensifies et même ceux qui possèdent les documents légaux nécessaires se retrouvent exposés à la déportation pour des raisons mineures, bien que ces raisons ne justifient pas une telle mesure selon la loi sur la ‘protection temporaire’ promulguée en avril 2014.

Concernant les déportations vers la Syrie pendant les événements de Kayseri, le responsable administratif du poste-frontière de Bab al-Salama a déclaré à “Syrians for Truth and Justice” ce qui suit :

“Pendant la période de fermeture (suite aux événements de Kayseri), aucun Syrien n’a été déporté via le poste-frontière de Bab al-Salama, alors que les déportations ont été redirigées vers le poste-frontière de al-Rai, où environ 180 personnes ont été déportées, et les déportations via le poste-frontière de Jarablus ont augmenté en avril 2024, dépassant les 2000 personnes.”

Le responsable a ajouté:

“Depuis le début de juillet jusqu’au 8 juillet 2024, environ 160 jeunes hommes ont été déportés de la ville de Gaziantep, tous dans le cadre de la dernière champagne et la plupart d’entre eux possédaient des cartes de protection temporaire (Kimlik) émises par la province de Gaziantep, et certains ont été déportés pour non-respect de l’adresse de résidence en raison de la crise du logement et de la hausse des loyers, et parmi les déportés, moins de 20 jeunes hommes n’avaient pas de carte de protection temporaire, et cherchaient à rejoindre l’Europe”.

Le gouvernement turc cherche à répartir les déportés à travers plusieurs postes-frontières et zones, y compris Tal Abyad, Jarablus, Bab al- Salama, et Bab al-Hawa, dans le but de les distribuer dans ce qu’il appelle des “zones sûres”, mais les conditions difficiles dans ces zones aggravent la souffrance des déportés, selon le responsable administratif.

Il a également signalé la poursuite de la décision turque interdisant la publication de statistiques sur les déportations forcées depuis tout poste-frontière relevant du gouvernement intérimaire, permettant seulement la publication de données sur les “retours volontaires”, et cette décision a été adoptée après que des sites de l’opposition syrienne ont couvert les chiffres des déportés de force en se basant sur les chiffres des postes-frontières comme source officielle. De plus, les autorités turques interdisent l’émission de permis officiels pour filmer dans les postes-frontières destinés aux déportés forcés, ainsi que pour les filmer dans la zone des terminaux de bus, bien qu’elles accordent des permis pour d’autres reportages médiatiques.

En février 2024, le ministre turc de l’Intérieur, Ali Yerlikaya, a annoncé que “environ 625 000 Syriens sont retournés volontairement en Syrie”, en raison de l’amélioration des conditions

de vie dans les villes de Jarablus, Al-Bab, et Azaz situées dans la “zone sûre”, selon ses dires. Cependant, dans son dernier rapport, l’organisation Human Rights Watch a documenté que ces zones où les réfugiés syriens sont déportés, y compris la ville de Tal Abyad, sont encore loin d’être sûres et Adam Coogle, directeur adjoint pour le Moyen-Orient de l’organisation, a déclaré que “le retour “volontaire” organisé par la Turquie vers les “zones sûres” est souvent un retour forcé, dangereux et désespéré et  la promesse de la Turquie de créer des “zones sûres” reste vide de sens, alors que les Syriens se trouvent obligés de prendre des trajets périlleux pour échapper aux conditions inhumaines à Tal Abyad”.

Le 18 juillet 2024, le poste-frontière de Bab al-Salama a publié sur sa page officielle Facebook que le nombre total de “retournés” vers le territoire syrien s’élevait à 3 035 personnes.

Le graphique suivant explique les statistiques des expulsions des réfugiés syriens selon les points de passage frontaliers au cours du premier semestre de l’année 2024 :

  • Se promener dans les rues de la Turquie est dangereux pour les réfugiés syriens :

Les réfugiés syriens craignent de quitter leurs domiciles, car ils risquent d’être arrêtés et détenus dans les rues et sur leurs lieux de travail et des prétextes souvent faibles sont utilisés pour les forcer à retourner en Syrie, malgré le fait qu’ils possèdent des documents légaux en règle et toutes ces violations se produisent en l’absence de protection légale pour les réfugiés en Turquie.

L’un de ces réfugiés, Asaad Hassan[1] (nom d’emprunt), vit à Gaziantep depuis 2017 et possède une carte de protection temporaire (Kimlik), et il raconte à “Syrians for Truth and Justice” les détails de sa déportation forcée et les conditions inhumaines qu’il a subies le 1er juillet 2024:

“Alors que je rentrais chez moi après une journée de travail épuisante, une voiture de la Direction générale de la migration turque m’a intercepté près de la rue (Bazar Iran). Les agents m’ont demandé de présenter mes papiers d’identité et, après avoir confirmé que j’étais syrien, ils m’ont ordonné de me joindre à environ 30 autres personnes menottées avec des attaches en plastique. Bien que j’aie expliqué que mes papiers étaient en règle et que je vivais légalement, ils ont ignoré mes propos et m’ont menotté. Après environ une heure, le nombre de détenus a augmenté pour atteindre environ 50 personnes, et nous avons ensuite été transportés par un grand bus appartenant à la police anti-émeute vers un poste de police près de la municipalité de (Chahinbey). Là, ils ont pris nos affaires et nos informations personnelles avant de nous emmener à l’hôpital (Chehitkamil), où nous avons été contraints de signer un rapport médical affirmant que nous n’avions pas subi de torture ou de coups, et ensuite, nous avons été renvoyés au poste de police et avons passé la nuit dans une cellule commune”.

Hassan poursuit son récit :

“Le 2 juillet 2024, nos affaires nous ont été rendus et nous avons été transférés au camp (Oğuzeli), réservé aux Syriens expulses, et nous avons été placés dans des caravanes et des chambres en béton inhabitables. Ensuite, ils ont pris mes empreintes et m’ont demandé de signer un document de retour volontaire. J’ai refusé et expliqué que mes papiers étaient en règle et que je ne voulais pas retourner en Syrie, mais un agent de sécurité turc m’a frappé avec une (matraque) et m’a forcé à apposer mes empreintes sous la menace et les insultes, donc j’ai été contraint de signer mon retour volontaire et le matin du 3 juillet 2024, deux officiers dont je n’ai pas pu identifier les grades sont venus avec cinq grands bus de tourisme dans lesquels nous avons été transportés vers le poste frontière de Bab al-Salama“.

Dans un autre témoignage d’un réfugié syrien, Mohammed Ahmad[2] (pseudonyme), employé dans une organisation de la société civile à Gaziantep depuis six ans, raconte qu’il a été arêté par un véhicule de l’administration turque des migrations et expulsé de force vers la Syrie le 27 juin 2024 alors qu’il se promenait près du centre commercial “Sanko Park” avec une amie. Mohammed a raconté à “Syrians for Truth and Justice” ce qui lui est arrivé, en disant:

“Un agent de police m’a demandé de présenter ma carte de protection temporaire (Kimlik) et m’a ordonné de me diriger vers le véhicule de la migration pour vérifier mes papiers d’identité, et après avoir examiné les données, l’employé m’a informé que j’étais sur la liste des personnes à expulser en raison de mes empreintes enregistrées lors d’un retour volontaire précédent en Syrie. Un des agents a demandé à me menotter et à me détenir, mais j’ai protesté en affirmant que je n’étais pas un criminel et que je ne m’enfuirais pas, alors ils m’ont laissé dans la voiture sans me menotter, puis m’ont emmené à l’hôpital Şehitkamil pour obtenir un rapport médical attestant que je n’avais subi aucune torture”.

Mohammed a poursuivi son témoignage en disant :

“J’ai été transféré au poste de police de (Beykent) où j’ai été détenu avec quatre autres travailleurs syriens arrêtés sur leur lieu de travail dans la zone industrielle de Gaziantep. Après cinq heures, nous avons été contraints de monter dans un bus de transport de la police anti-émeute du ministère de l’Intérieur. Ensuite, nous avons été transférés au poste de police de (Yeşilvadi) où j’ai trouvé environ 25 femmes avec 5 enfants, tous syriens. Un groupe a été transféré à la région de Nizip, et nous avons été emmenés au camp d’Elbeyli à Kilis, où nous avons subi des abus verbaux de la part des employés d’une société de sécurité privée.Nous avons été forcés de fournir nos empreintes pour un retour volontaire en Syrie”.

Il a ajouté :

« Le 29 juin 2024, à sept heures du matin, nous avons été transférés au poste frontière de Bab al-Salama, où ils ont découvert une erreur dans mes informations personnelles, mais ils l’ont ignorée. Ils nous ont laissés sous le soleil pendant une heure avant de nous laisser entrer en Syrie ».

En juin dernier, environ 250 jeunes hommes ont été expulsés de la province de Gaziantep par le poste frontière de Bab al-Salama en raison de violations des lois

turques relatives au changement d’adresse et à l’absence de permis de voyage. Dans le même temps, la Direction de la migration turque refuse de délivrer des permis de travail à Gaziantep pour les jeunes des provinces voisines comme Kilis et Chanlıurfa, où il n’y a pas suffisamment d’opportunités d’emploi, selon le responsable administratif du poste frontière de Bab al-Salama.

  • Expulsion sous la menace d’une arme :

Malek Abdel Latif[3] (pseudonyme), qui est un tailleur vivant dans la ville de Gaziantep, en Turquie, depuis 2015, et qui possède une carte de protection temporaire (Kimlik) affirme lors de son entretien avec « Syrians for Truth and Justice » que ses informations sont à jour et qu’il n’a pas besoin de les mettre à jour auprès de la direction turque de l’immigration, selon ses dires.

Le 30 juin 2024, à minuit et demi, on a frappé à sa porte de manière inattendue. En ouvrant, il trouve deux policiers turcs qui lui demandent son nom et qui se trouve dans la maison. Lorsqu’il leur demande la raison de cette visite à une heure si tardive, ils répondent qu’ils sont là pour vérifier l’adresse de la maison. Il leur donne son nom ainsi que celui de sa femme et de son enfant, et ils lui demandent de présenter son document de protection temporaire. Quand Malek leur demande de voir leurs identités, craignant des escroqueries fréquentes en Turquie, cela les met en colère et ils commencent à crier et à l’insulter, puis ils lui demandent de les suivre, le menaçant avec une arme. Malek raconte à « Syrians for Truth and Justice » ce qui s’est passé :

« Je les ai suivis en vêtements de maison sans avoir le temps de me changer ou de mettre des chaussures. Ils m’ont emmené au poste de police où ils ont rédigé un rapport contre moi pour agression sur des policiers. C’était choquant, j’ai demandé à contacter un avocat mais ils ont refusé et ont confisqué mon téléphone portable. Le lendemain, le 1er juillet 2024, ils ont pris mes empreintes et ont constaté qu’il n’y avait aucun problème juridique, mais malgré cela, j’ai été transféré avec 50 autres jeunes hommes de Gaziantep au camp de Harran, où ils m’ont dit que les autres camps étaient pleins ».

Au camp de Harran, Malek a trouvé environ 200 jeunes, pour la plupart en possession de documents en règle, mais qui avaient des infractions liées à la domiciliation ou au travail dans une autre province sans autorisation. Certains détenus attendaient leur procès malgré l’obtention d’une libération. La situation dans le camp était extrêmement déplorable, avec de l’eau contaminée et une nourriture insuffisante, selon son témoignage. Malek ajoute :

« En raison de l’absence de soins médicaux malgré nos demandes, nous avons choisi d’être expulsés en Syrie au bout de sept jours dans le camp, le 8 juillet, via le poste-frontière de al-Rai. Lorsque je suis arrivé en Syrie, j’ai consulté un médecin à Afrin qui m’a dit que la maladie dans mon corps était due à la contamination et que c’était une intoxication de la peau et du sang. Nous ne recevions que deux petites boîtes de haricots par jour avec une demi-baguette et deux verres d’eau, chaque verre faisant seulement 200 ml, ce qui a causé une grave malnutrition ».

Les témoignages de ce rapport et les événements récents dans la province de Kayseri indiquent que les réfugiés syriens en Turquie font face à de graves problèmes liés aux droits de l’homme, tels que les expulsions forcées, les agressions racistes et la négligence dans les centres de détention. Bien que la Turquie soit engagée dans des accords internationaux protégeant les droits des réfugiés, la réalité montre qu’il existe un écart important entre ces engagements et ce qui se passe réellement.

  • Attaques racistes dans les rues et expulsions forcées :

À la mi-juin 2024, le mari de la réfugiée syrienne Rama Al-Abdallah a été victime d’une attaque raciste alors qu’il rentrait de son travail au marché des cuivres à Gaziantep, en Turquie et il a été poignardé à l’épaule et transporté à l’hôpital. Une semaine après la stabilisation de son état, il est rentré chez lui pour poursuivre son traitement. Rama Al-Abdallah[4], mère de trois enfants, raconte son témoignage à « Syrians for Truth and Justice » :

« Le 6 juillet 2024, je courais en tenant mon enfant malade, en crise aiguë de diabète, vers l’hôpital quand une voiture de la direction de l’immigration turque m’a arrêtée. J’ai ignoré l’appel au début, mais ils m’ont rattrapée et m’ont arrêtée. J’ai pleuré et leur ai expliqué que mon enfant était en danger, mais ils ont ignoré mes supplications et m’ont demandé mes papiers. Ne pouvant pas les présenter, l’un d’eux m’a frappée dans le dos avec un objet en plastique. J’ai ressenti une douleur intense et j’ai crié. D’autres agents sont arrivés et ont demandé une ambulance pour mon enfant. Après avoir reçu des soins, son état s’est stabilisé en une demi-heure. Ensuite, ils m’ont emmenée avec mon fils dans la voiture de l’immigration, où ils ont pris mes empreintes et m’ont dit que mes données n’étaient pas à jour. Malgré mes assurances que mes papiers étaient en règle, j’ai été détenue avec d’autres femmes et enfants. Nous avons é’é emmenés au poste de pol’ce de (Bıkand) à Gaziantep et placés dans des cellules collectives et individuelles ».

Rama poursuit son témoignage en disant :

« Le matin du 7 juillet, nous avons été transférés à l’hôpital (Chehitkamil) pour une évaluation médicale. J’ai demandé des médicaments pour mon enfant et informé les médecins que j’avais été battue, mais ils ont ignoré mes paroles. Ensuite, nous avons été transférés au camp de Nizip, où nous avons passé une nuit terrifiante. Le 8 juillet, nous avons été transportés au poste-frontière de Bab Al-Salama et j’ai été expulsée en Syrie malgré mes papiers en règle. Je suis entrée en Syrie et me suis rendue chez une amie à Azaz, tandis que mon mari et mes enfants sont restés à Gaziantep sous la garde de ma mère ».

Dans un autre témoignage, Khaled Al-Ali[5] (pseudonyme), un réfugié syrien à Gaziantep depuis 2013, a raconté qu’il avait eu un accident en 2017 lors de l’installation d’ascenseurs, ce qui avait entraîné l’amputation de sa jambe et des blessures à la colonne vertébrale, le rendant incapable de travailler. Khaled dépend de l’aide de ses proches et du travail de sa sœur en couture.

Le 28 juin 2024, un groupe de Turcs motivés par des sentiments racistes a attaqué le quartier où vit Khaled, détruisant les voitures et les commerces appartenant aux Syriens et lançant des pierres sur les fenêtres des maisons. Khaled raconte à “Syrians for Truth and Justice” ce qu’il a vu:

“À 20h00, j’étais sorti avec l’aide de ma sœur pour m’asseoir devant la maison et vérifier que mes voisins allaient bien. Soudain, des voitures de police turques ont envahi le quartier et ont pénétré violemment dans les maisons des Syriens. Quand ils sont arrivés chez nous, ils m’ont demandé si j’étais Syrien. Quand j’ai répondu oui, ils ont fait sortir ma mère et mes sœurs de la maison et nous ont ordonné de monter dans les bus. Trois agents m’ont porté avec ma chaise jusqu’au bus, bien que je leur ai dit que j’étais handicapé, ils n’ont pas répondu. Nous avons été emmenés au poste de police de (Yechilvadi) à Gaziantep”.

Khaled a ajouté dans son témoignage:

“Le 29 juin 2024, les autorités turques ont divisé les familles syriennes détenues en groupes. Les deux premiers groupes ont été transférés au camp d’Elbeyli à Kilis, tandis que les autres ont été emmenés au camp d’Oğuzeli à Gaziantep. Le 30 juin, un interprète est venu avec les gardes et nous a demandé de prendre une photo de groupe et d’enregistrer une vidéo montrant notre désir de retourner volontairement en Syrie, menaçant de frapper ceux qui protestaient. Nous avons été contraints de signer électroniquement un formulaire de retour volontaire, moi et ma famille. Bien que j’aie expliqué à l’interprète que je souffrais d’une paralysie partielle et d’une amputation de la jambe, il m’a dit (Appose ton empreinte ici et tais-toi, sinon je te retiendrai, toi et ta famille, pendant un mois). À 14h00, nous avons été ordonnés de monter dans les bus, où ils nous ont menottés si fermement que le sang s’est arrêté de circuler. Ensuite, nous avons été transportés au poste-frontière de Bab Al-Salama”.

Le 7 juillet 2024, le journal turc “Karar” a rapporté que les autorités avaient transféré une famille syrienne de six personnes, dont des parents âgés et deux enfants, au centre de détention de la province de Kayseri en vue de leur expulsion, bien qu’ils possédaient des cartes de protection temporaire (kimlik). Cette mesure a été prise après que la famille ait déposé une plainte pour des agressions commises par leurs voisins lors des violences contre les Syriens à Kayseri. Le journal a indiqué que les voisins avaient jeté des pierres sur la maison de la famille, ce qui les avait menacés d’expulsion à cause de la plainte déposée.

  • Les réfugiés syriens, une carte de pression turque contre l’Europe :

Malgré la signature de nombreux accords internationaux garantissant les droits et la protection des réfugiés, de nombreux témoignages et rapports de défense des droits humains indiquent des violations graves des droits de l’homme et des droits des réfugiés. L’organisation “Syrians for Truth and Justice” a produit des rapports antérieurs contenant des témoignages et des preuves concernant les opérations de déportation forcée des Syriens. L’organisation a également publié un rapport sur une vague de déportations forcées qui a eu lieu en septembre 2023, bien que la plupart des personnes expulsées possédaient des documents légaux soutenant leur présence en Turquie ou appartenaient aux catégories les plus vulnérables qui devraient être protégées.

La Turquie est partie à la “Convention européenne des droits de l’homme”, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. En revanche, le gouvernement turc nie l’existence de déportations forcées et décrit ses politiques comme “modèles” dans la gestion des réfugiés. Cependant, les réfugiés syriens continuent d’être exposés à des discours racistes émanant des partis d’opposition qui utilisent leur présence comme un atout électoral, menaçant de les renvoyer en Syrie. Ces discours ont conduit à des agressions et des crimes qui n’ont pas fait l’objet d’une enquête impartiale.

Selon le responsable administratif du poste frontière de Bab al-Salama, “les personnes sans carte de protection temporaire se voient délivrer une carte par la Turquie dans un camp de déportation, puis cette carte est annulée le même jour, et on leur fait signer un document de retour volontaire sous la contrainte. Ces mesures sont souvent prises pour augmenter le nombre de titulaires de cartes de protection temporaire annulées, empêchant ainsi leur régularisation future en revenant en Turquie, bien que la délivrance de cartes de protection temporaire soit suspendue dans toute la Turquie. L’objectif est d’augmenter les chiffres présentés à l’Union européenne et aux Nations unies”. En 2016, l’Union européenne et la Turquie sont parvenues à un accord migratoire visant à stopper l’afflux de migrants irréguliers vers l’Europe, en favorisant

leur réinstallation sur le territoire turc. Depuis 2011, la Turquie a reçu environ 10 milliards d’euros (10,8 milliards de dollars) de l’Union européenne pour aider les réfugiés et les communautés d’accueil.

Les réfugiés syriens souffrent de politiques sévères appliquées contre eux, où les conditions humanitaires et juridiques qui imposent leur protection sont ignorées. Ces violations ne sont pas seulement des incidents isolés, mais font partie d’un schéma plus large qui reflète l’augmentation des tensions sociales et politiques en Turquie à l’égard des réfugiés. Ces tensions s’intensifient en raison des discours politiques hostiles aux réfugiés, qui sont utilisés comme levier dans la politique intérieure et extérieure.

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1 – L’entretien a été réalisé en ligne par un chercheur de “Syrians for Truth and Justice (STJ)”, le 8 juillet 2024

2 – L’entretien a été réalisé en ligne par un chercheur de “Syrians for Truth and Justice (STJ)”, le 10 juillet 2024

3 – L’entretien a été réalisé en ligne par un chercheur de “Syrians for Truth and Justice (STJ)”, le 9 juillet 2024

4 – L’entretien a été réalisé en ligne par un chercheur de “Syrians for Truth and Justice (STJ)”, le 9 juillet 2024

5 – L’entretien a été réalisé en ligne par un chercheur de “Syrians for Truth and Justice (STJ)”, le 12 juillet 2024

6 – L’entretien a été réalisé en ligne par un chercheur de “Syrians for Truth and Justice (STJ)”, le 13 juillet 2024

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